Commencez par vous émerveiller de ce fait étrange : le simple fait de naître à un endroit précis suffit à vous inscrire d’office à vie dans un club dont l’activité principale est de cultiver des rancunes—surtout celles auxquelles vous n’avez jamais consenti et qu’il est impossible de résilier. C’est un peu comme se réveiller en plein milieu d’une querelle pluriséculaire, après avoir manqué les premières insultes, mais en étant tout de même sommé de choisir son camp avec ferveur.
Plongez dans l’absurdité de ces ressentiments historiques qui, aussi anciens et poussiéreux soient-ils, s’accrochent avec une ténacité presque admirable, comme si l’amertume était une spécialité locale—un peu comme le fromage et le vin, en nettement moins agréable. Ces rancunes, transmises avec un sens du devoir solennel, vous forcent à jouer une scène d’agacement collectif, même si vous vous fichez éperdument de l’offense qu’aurait subie votre lointain ancêtre. Un ancêtre, soit dit en passant, avec qui vous avez probablement moins en commun que vos prétendus ennemis—et soyons honnêtes, vous ne passeriez probablement pas huit heures à danser avec enthousiasme sur les gémissements d’un violon éraillé tout en débattant sérieusement des subtilités du salut éternel.
Reconnaissez cette vérité inconfortable : la rancune liée au lieu de naissance n’est rien d’autre qu’un tribalisme déguisé en nostalgie historique, un cycle épuisant de ressentiment présenté comme un héritage. C’est le genre de bagage pour lequel les compagnies aériennes seraient ravies de facturer un supplément, mais que nous sommes pourtant contraints de trimballer gratuitement—de peur d’être traités de traîtres ou, pire encore, de bons petits colonisés.
Proposez, avec une conviction teintée d’ironie, qu’il est peut-être—juste peut-être—possible de refuser cet héritage. Imaginez la radicalité du geste : rejeter l’amertume collective comme on enlève un pull qui gratte, transmis par un parent un peu trop présent—touchant de nostalgie, certes, mais fondamentalement insupportable.
Et concluez en suggérant, avec légèreté mais fermeté, que les rancunes vieillissent mal. Comme toute tradition figée, elles deviennent rances, gênantes, et vaguement ridicules. Il est peut-être enfin temps de résilier son abonnement au club des rancunes ancestrales—car franchement, l’adhésion est surcotée et les réunions sont toujours épuisantes.
L’histoire, malgré tout son sang et ses drames, n’est qu’un long défilé de choses disparues. Les civilisations s’effondrent, les empires se dissolvent, et pourtant les rancunes s’accrochent comme la moisissure dans les recoins de la conscience humaine. Je plains le pauvre Lombard qui a passé sa courte vie, minée par la peste, à fulminer contre la domination romaine—tout comme je plains le Grec post-byzantin ruminant la chute de Constantinople, ou le Carthaginois rêvant des éléphants d’Hannibal tout en maudissant Rome. Tous n’étaient, au fond, que des gens comme nous, coincés dans une existence brève avec un choix à faire : s’accrocher aux cendres, ou sortir sentir le soleil.
